« […] La saison jouait contre lui. C’était l’époque de l’année où Sirius s’élevait dans le ciel en même temps que le soleil, et si c’était signe de chaleur et de pluie peu abondante, ce n’était pas tout. Pour les Romains de l’Antiquité c’était une saison malsaine, et il était difficile de ne pas leur donner raison. Les étangs et les rivières étaient stagnants et écumeux, à cette époque de l’année, à cette époque de l’année, l’air immobile et lourd comme un poids qui vous pesait dessus. Le bétail attrapait la conjonctivite et le charbon, et un chien ou un chat pouvaient tourner fous. La polio empirait aussi, ou du moins le croyait-on. On interdisait aux enfants les baignades ou le cinéma. Pour Billy, c’était signe aussi qu’un mort gonflerait et pourrirait deux fois plus vite. S’il n’enterrait pas le cadavre de Holland, n’importe qui à moins d’un kilomètre à la ronde ne tarderait pas à le sentir. À moins qu’il ne le fourre dans la rivière, et c’était là que je supposais qu’on trouverait le corps. Aussi basse fût-elle, elle pouvait encore dissimuler un cadavre, surtout si on le lestait avec un gros caillou ou un tronc gorgé d’eau. Billy m’a vu arriver. Il s’est arrêté d’écimer ses plants de tabac et s’est redressé. Il se tenait au milieu d’un rang. Le premier bâton de dynamite a explosé, et puis un deuxième, mais Billy ne m’a pas quitté des yeux. J’ai pensé un instant qu’il allait peut-être lever les mains au-dessus de sa tête et nous faciliter la tâche à tous, mais non. Et puis je les ai aperçus, de l’autre côté de la rivière, qui descendaient lentement au-dessus des arbres telles des cendres noires. À dire vrai, Billy me décevait. Tout compte fait, il avait perdu les pédales. C’était presque drôle de le voir comme ça debout dans le champ en face de moi, qui s’efforçait d’avoir la mine innocente pendant que dans le ciel, juste dans son dos, les vautours dessinaient un X gigantesque à l’endroit où se trouvait le cadavre de Holland. Le fusil de Billy était posé au bout de son rang, et je me tenais entre lui et son arme […] »
Ron Rash, Un pied au paradis, éd. Folio (p.55-56) L’Etoile,Tarot de Marseille Pierre Madenié (Dijon, 1709) fac-similé de Yves Reynaud
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